1. Qu’est-ce que la Commedia dell’Arte ?
La Commedia dell’Arte est une forme de la Renaissance italienne, mieux connue comme un style caractérisé par des personnages portant des demi-masques, dont il existe de nombreuses variantes. Cependant, il y a aussi beaucoup de personnages dans la commedia dell’arte qui ne portent pas de masques. Des personnages célèbres tels qu’Arlequin, Pantalon, Polichinelle et Pierrot ont survécu à travers les générations, étant assimilés dans l’art, la littérature, la musique, l’opéra et le cinéma. Traduit en anglais, la commedia dell’arte signifie, en quelque sorte, la ‘Comédie Professionnelle’, et les acteurs de ce genre étaient effectivement les premiers à être officiellement reconnus comme professionnels. De nombreux praticiens se réfèrent maintenant à la forme simplement comme ‘commedia’, car le terme ‘dell’arte’ a été ajouté par Carlo Goldoni au 18ème siècle, longtemps après l’apogée de la commedia aux 16ème et 17ème siècles. Commedia est également un terme plus flexible qui peut permettre des développements modernes au sein du genre.
La comédie a besoin d’un public et les troupes de commedia se produisaient partout où un public pouvait être rassemblé ; au début, cela se passait dans des places publiques sur des estrades surélevées avec un simple décor, jouant pour des places de marché animées peuplées de toutes sortes de gens de la société. Ces spectacles étaient si populaires que les troupes furent bientôt invitées dans les cours de l’aristocratie. La Renaissance a été témoin d’une énorme vague de créativité artistique, de découverte et d’invention, qui ont toutes nourri l’imagination et les récits de la commedia. Des troupes de spectacle sont apparues dans plusieurs régions d’Italie et ont commencé à voyager, emportant le genre en France, en Allemagne, en Espagne, en Angleterre, en Russie pour n’en nommer que quelques-unes. La commedia est devenue l’un des styles de théâtre les plus influents et durables au monde. Le 17ème siècle a été l’Âge d’Or pour la commedia, alors que les comiques italiens dominaient la scène européenne et que le système des stars était né, établissant fermement le métier d’acteur comme un métier légitime. La commedia a commencé à être reproduite dans des villes à travers l’Europe et des troupes italiennes célèbres ont voyagé sur invitation dans des cours royales, comme celle de Louis XIV, grand défenseur des arts.
« Shakespeare, Ben Jonson, Molière, Marivaux, Beaumarchais, Goldoni… Partout où il y a des serviteurs spirituels et des maîtres dominateurs, de jeunes épouses et de vieux maris, des pédants pompeux, des amoureux contrariés ou des soldats fanfarons, la Commedia est là en esprit et aussi très souvent en forme » — SIMON CALLOW, DANS LA PRÉFACE DU MASQUE COMIQUE DANS LA COMMEDIA DELL’ARTE PAR A. FAVA, 2007
2. Le saviez-vous ?
- Le terme ‘commedia dell’arte’ n’a jamais été utilisé pendant les 16ème et 17ème siècles pour décrire la forme – c’était Carlo Goldoni qui a inventé l’expression dans sa pièce Le Théâtre Comique en 1750 de manière quelque peu péjorative.
- Contrairement à une croyance populaire, la commedia n’était pas entièrement improvisée – de nombreux aspects étaient minutieusement répétés et certains discours étaient écrits.
- La première apparition documentée d’une femme sur scène a été faite par l’actrice Vincenza Armani vers 1566, mais la plus célèbre Première Actrice était Isabella Andreini, épouse de Francesco Andreini de Il Gelosi, apparaissant pour la première fois sur scène en 1576.
- Shakespeare s’est directement inspiré de la commedia dell’arte pour nombre de ses pièces. Les Fous de Shakespeare sont souvent des types de personnages zanni ; ses premiers rôles romantiques sont clairement inspirés par les innamorati (les Amoureux) de la Commedia, ses vieux avares misérables par Pantalone et ses vieux hommes pédants et bouffons par il Dottore.
- De 1770 à 1900 environ, Arlequin (Arlecchino) était la star de l’Harlequinade anglaise, aux côtés de Colombine et de Pantalon. Cela a ensuite évolué en Pantomime.
3. Origines de la Commedia dell’Arte
Les racines de nombreux personnages et intrigues peuvent être retracées jusqu’aux comédies romaines et encore plus loin jusqu’aux farces Atellanes (Fabulae Atellanae datant d’environ 300 av. J.-C.; ces farces rustiques étaient ainsi nommées car elles provenaient d’Atella en Italie). Les farces atellanes ont donné naissance à des personnages types : le fou, l’escroc, le glouton, le vieil homme… les liens avec la Commedia sont indéniables.
La Commedia a commencé à prendre sa forme populiste aux 15ème-16ème siècles et est probablement née comme une évolution du carnaval et de la rue guillare rustique (jongleurs satiriques itinérants). Il est probable que les premiers interprètes de la commedia zannesca étaient des artisans qui se regroupaient à travers des guildes locales comme une forme de divertissement après le travail. Le style théâtral a évolué au cours du 16ème siècle, étant variément connu sous les noms de commedia all’improvviso (comédie improvisée), commedia delle maschere (comédie des masques), commedia zannesca (comédie zanni) ou même commedia mercenaria (comédie mercenaire). 1545 est crédité comme étant la naissance officielle de la commedia, célébrée internationalement par les enthousiastes de la commedia le 25 février.
« Le mercredi 25 février 1545, un événement extraordinaire a eu lieu. Un groupe de comédiens professionnels : Vincenzo da Venezia, Francesco de la lira, Hieronimo da San Luca, Giandomenico également connu sous le nom d’il Rizo, Giovanni da Treviso, Tòfano de Bastian, dirigé par un ser Maphio del Re, connu sous le nom de Zanino da Padova, est apparu devant le notaire Vincenzo Fortuna, dans le quartier de San Leonardo pour mettre sur papier notarial la formation d’une Compagnie Professionnelle de Comédiens. C’était la naissance de la Compagnie Théâtrale moderne. »
Cette compagnie fraternelle légitime a ouvert la voie au métier d’acteur en tant que profession reconnue. La Commedia dell’arte n’a été ainsi nommée, rétrospectivement et bien après que la forme ait atteint une popularité massive en Europe. C’était le dramaturge Carlo Goldoni qui, en 1750, a écrit de manière plutôt dédaigneuse sur les acteurs de la forme dans sa pièce Il Teatro Comico, en la qualifiant de Commedia dell’Arte.
Atella, en Italie
4. Début de la Commedia
Au début, les représentations des troupes de commedia se déroulaient là où un public et une forme de scène pouvaient être trouvés – à l’intérieur ou à l’extérieur, souvent jouées dans des places, sur une scène de tréteaux de deux mètres de haut, avec un seul fond. Ce fond a évolué avec les acteurs pour représenter une maison ou une rangée de maisons dans une rue, souvent avec des ouvertures comme fenêtres. Les performances de commedia ont rapidement gagné en popularité et les acteurs ont vu l’opportunité de réaliser des profits. Ils ont commencé à vendre des places à leurs représentations et les troupes ont bientôt été invitées à jouer dans les cours et palais des ducs et de la royauté. Des groupes de représentation sont apparus dans différentes régions d’Italie, avec des changements de noms de personnages en conséquence. On pense que les personnages se moquaient probablement de locaux familiers et que les récits étaient presque certainement modifiés pour faire des références locales. Les troupes ont voyagé dans toute l’Italie et en Europe, arrivant en France, Espagne, Allemagne, Angleterre et Russie à la fin du 16ème siècle. Le développement d’une langue de toutes les langues, le grummelot, a aidé les acteurs à être compris partout où ils allaient. Le grummelot étant un langage de bavardage qui utilise la paralinguistique d’une langue – l’intonation, le rythme et la musicalité – pour imiter le dialecte local, aidé par des pitreries physiques et des gestes audacieux pour se faire comprendre.
Très peu de théâtres avaient été construits depuis l’époque romaine mais en 1588, l’architecte Vincenzo Scamozzi a commencé la construction du Teatro all’Antica à Sabbioneta, dans le nord de l’Italie, comme espace de jeu intérieur pour la Commedia, basé sur les designs des amphithéâtres romains. Les concepts de perspective ont commencé à être explorés pendant la Renaissance et les premiers décors en perspective ont été créés, représentant des scènes de rue. Le Teatro all’Antica fut le premier théâtre des temps modernes conçu dès le départ comme bâtiment de théâtre et il subsiste encore aujourd’hui en tant que site du patrimoine mondial de l’UNESCO.
5. Comédie des Masques
Les pièces (scenarii) elles-mêmes étaient conçues autour d’une intrigue lâche (canovaccio), mettant en scène une action rapide, des séquences de slapstick et des récits simples axés sur le conflit (souvent axés sur l’amour, la cupidité, la maladie, l’injustice, la famine). Traditionnellement, les acteurs jouaient sans scripts, s’appuyant sur un ordre de passage (canovaccio) pour décider du déroulement du récit, mais chaque acteur aurait un répertoire pour son personnage qui pourrait inclure des lazzi répétés (gags physiques comiques), des concetti (vers poétiques romantiques) ou d’autres monologues qu’ils pourraient incorporer dans l’action. Chaque personnage avait un répertoire distinct de mouvements et de postures qui auraient été développés et maîtrisés par un acteur pendant de nombreuses années à jouer le même rôle.
Les masques, accessoires, acrobaties, chansons, danse et musique étaient des caractéristiques clés de ce style comique, connu sous de nombreux noms différents. Les premières formes de commedia (commedia zannesca) auraient comporté uniquement des personnages de zanni : le fou archétypal ; les paysans venus en ville pour essayer de trouver du travail. Leurs processus de pensée étaient simplistes, régis par des besoins physiques et charnels pour la survie. Pour le personnage de zanni, l’acteur portait un masque, souvent avec un long nez (on pense que plus le nez est long, plus le personnage est stupide). Des masques existaient pour les types de zanni féminins (zagna) portés par des hommes, offrant l’opportunité d’un humour grossier. Il est probable que ces performances masquées étaient une évolution de la « comédie vulgaire » de festivals tels que la Fête des Fous et la Fête de l’Âne. La comédie de ces premières pièces reposait sur un humour grossier, souvent violent, guidé par les besoins charnels des zanni.
6. Les Personnages Typiques
Des personnages sont apparus en réponse aux strates sociales de l’époque et au fur et à mesure que le besoin se faisait sentir, les acteurs augmentaient progressivement la complexité des récits. Il existe littéralement des centaines de variations de personnages, mais on reconnaît généralement qu’il y a une poignée de types de personnages typiques qui apparaissent toujours dans les pièces. Zanni est un tel type de personnage typique qui est un terme collectif pour tous les serviteurs de rang inférieur de la commedia, y compris Arlecchino (Arlequin), Columbina, Brighella et Pulchinella.
Il Vecchi (« les vieux hommes ») a rejoint les rangs de la commedia, en tant que type typique qui se moquait des riches propriétaires terriens puissants de l’Italie de la Renaissance. Pantalone est un tel patron cupide d’argent qui est apparu dans les productions des joueurs vénitiens. Il est devenu un maître pour les zanni ; quelqu’un à moquer par l’underdog. Les origines de Pantalone peuvent être retracées jusqu’au Vieux Radin qui figurait dans les pièces romaines de Plaute. Il est très probablement basé sur les marchands qui échangeaient de l’or et prêtaient de l’argent à Venise. Le point central de la classe marchande à cette époque était la communauté juive – alors – très méprisée. Le masque de Pantalone porte généralement un nez crochu, des rides et des lèvres pincées et est généralement joué comme un vieil homme arthritique qui se tord les mains et protège son porte-monnaie à tout prix.
Un autre personnage d’Il Vecchi est Il Dottore (Le Docteur). C’est un charlatan qui se proclame expert sur n’importe quel sujet qu’il choisit – souvent la médecine ou le droit – selon ce que l’intrigue exige. Il est probable qu’il ait été inspiré par les charlatans qui vendaient leurs marchandises sur les marchés du 16ème siècle, offrant des « remèdes miracles » obscurs, des potions et des onguents. Son masque est un quart de masque, couvrant le nez et le front permettant à l’acteur une plus grande liberté dans les joues pour parler clairement et être vu comme « humain ». Il Dottore est un grand orateur qui aime le son de sa propre voix et peut avoir des discours bien répétés (sproloquio) à sortir pour retenir l’attention du public lorsque le couvert est nécessaire pour un changement de costume ou de scène.
Il Capitano a été introduit comme un autre personnage typique ; un étranger de l’extérieur de la ville, généralement un militaire espagnol, qui se vante de batailles et de victoires. Ce personnage est l’un de ceux qui dérivent directement des pièces romaines où Le Fanfaron était un fop familier qui racontait de grandes histoires et se pavanait de manière arrogante sur scène (Miles Gloriosus de Plaute écrit vers 205 av. J.-C.). Dans la commedia, il Capitano est généralement un vantard brandissant une épée, mais aussi souvent un lâche face au danger ou à la confrontation. De nombreuses variations d’Il Capitano peuvent être trouvées dans les scénarios de commedia – parfois il est masqué, parfois démasqué ; parfois il est un imposteur incompétent, parfois un prétendant riche et éligible.
7. Femmes sur scène
Un moment clé de l’histoire théâtrale s’est produit dans les années 1560, lorsque les femmes sont entrées sur scène. Il existe des preuves de rôles féminins de zanni (zagna) dans les premiers scénarios documentés de la commedia, mais on pense que ces rôles étaient joués par des hommes masqués. C’est la célèbre troupe des Gelosi qui a commencé une révolution dans le théâtre en introduisant formellement une actrice, non masquée, comme une actrice de haut niveau connue sous le nom d’Innamorata : l’Amoureuse. Il se peut que des actrices aient joué des personnages de zanni – servetta – avant cette période, mais là encore, ce n’est qu’avec l’apparition de Columbina, Franceschina, Rosalina (non masquées) que la présence de femmes sur scène peut être confirmée. L’arrivée des femmes sur scène a causé une sensation avec choc et commérages, attirant les voyeurs ainsi que des critiques considérables, mais le résultat a été une montée en popularité de la commedia et la naissance de la prima donna. L’Amoureuse féminine a rapidement été associée à un Amoureux masculin non masqué. Ces personnages apparaissaient parfois comme les enfants des Vieux Hommes : il vecchi (Pantalone et Dottore) et ont permis aux intrigues de gagner en profondeur et en complexité. Isabella Andreini de il Gelosi était reconnue comme une actrice remarquable qui pouvait se transformer avec des déguisements, feindre la folie et montrer son habileté avec une épée, si nécessaire.
8. Âge d’Or
Le 17ème siècle a été l’Âge d’Or pour la commedia alors que les comiques italiens dominaient la scène européenne et que le système des stars était né, établissant fermement le métier d’acteur comme une profession légitime. Les compagnies populaires de commedia ont commencé à voyager à travers l’Europe, se produisant notamment en Espagne, en Angleterre, en Allemagne et en France, où la forme est devenue connue sous le nom de la Comédie-Italienne pour la différencier de la Comédie-Française. Louis XIV était un grand soutien des arts et il a invité une troupe de commedia à se produire régulièrement à sa cour, jusqu’à ce qu’ils se moquent de sa maîtresse, Madame Maintenon, et il les a interdits de jouer. C’est à la cour de Louis XIV que Jean-Baptiste Poquelin (Molière) a découvert la Commedia dell’Arte.
Pendant ce temps, en Angleterre, il est très probable que Shakespeare ait vu ou du moins entendu parler des Comédiens Italiens et l’influence de la commedia est clairement visible dans nombre de ses œuvres. Au début du 18ème siècle, la Harlequinade est devenue à la mode avec des personnages tels que Harlequin, Columbine, Pantalon, Le Capitaine, Polichinelle et Pierrot. C’était le précurseur du Pantomime victorien.
« Les divertissements les plus populaires de la première partie du 20ème siècle… semblent étroitement liés à la Commedia. En effet, il est difficile de se représenter des images de la Commedia sans voir Charlie Chaplin, W.C. Fields, Bert Lahr, Les Marx Brothers… ou Laurel et Hardy » — MEL GORDON, LAZZI : LES ROUTINES COMIQUES DE LA COMMEDIA DELL’ARTE
Shakespeare, sous des traits nouveaux
9. Comédie Classique
L’influence de la commedia peut être retracée à travers l’histoire de la comédie. Chaque comédie classique qui a résisté à l’épreuve du temps est redevable à la commedia pour ses types de personnages comiques hilarants et ses pitreries et bouffonneries physiques.
« …le pantalon maigre et en pantoufles,
Avec des lunettes sur le nez, et une bourse sur le côté… »
Les personnages archétypaux merveilleusement exagérés apparaissent dans de nombreuses œuvres classiques, particulièrement évidents chez Shakespeare et Molière. Certaines des narratives de Shakespeare ressemblent étonnamment aux écrits de Ruzante et Flaminio Scala. Sans aucun doute, Shakespeare avait entendu parler des comédiens italiens – des références dans plusieurs pièces témoignent explicitement de cette connaissance. Il est très probable qu’il les ait même vus jouer, car les troupes italiennes voyageaient à travers l’Europe et étaient connues pour se produire à Londres à la fin du 16ème siècle.
De la scène à l’écran, en passant par la musique, l’opéra et les beaux-arts, la commedia a été maintenue en vie et a évolué pour devenir l’une des formes d’art les plus importantes et les plus polyvalentes de l’histoire.
L’évolution continue.
« Partout où vous allez, on reconnaît [la commedia dell’arte] comme les fondements sur lesquels le théâtre moderne a été construit. » — ALDO GIUPONI, PARLANT DANS L’APPEL DE L’UNESCO POUR LA COMMEDIA DELL’ARTE VIDÉO PAR ENZO ARONICA & LUCIANO BROGI (2005)
